Tissus techniques, vêtements de sport, rembourrages, moquettes, mais aussi textiles industriels et revêtements automobiles… Ces plastiques du quotidien fait de fibres remplissent nos armoires autant que nos décharges. Trop complexes, trop mélangés, trop traités : ils échappent encore aux solutions de recyclage classiques. Une collaboration entre plusieurs laboratoires de l’ESPCI Paris – PSL propose une solution aussi innovante qu’efficace : au lieu de trier ces plastiques récalcitrants au recyclage, pourquoi ne pas... les mélanger ?
Le principal obstacle au recyclage enzymatique des fibres plastiques est leur cristallisation rapide. Plus un plastique cristallise rapidement, plus il devient rigide et imperméable à l’action des enzymes chargées de le décomposer en briques de base. Or, certaines enzymes savent très bien dégrader le PET des bouteilles, à condition que celui-ci soit bien amorphe, c’est-à-dire peu cristallisé. Mais pour d’autres polyesters comme le PBT ou le PTT, couramment utilisés dans les fibres textiles, c’est une autre histoire : ils cristallisent si vite que les enzymes n’ont pas le temps d’agir.
En faisant fondre ensemble différents déchets de fibres polyester (PET, PBT, PTT…), les chercheurs exploitent une synergie inattendue. En présence de catalyseurs déjà présents dans ces plastiques, une réaction chimique se produit : la formation de copolymères hybrides. Cette nouvelle structure, beaucoup moins ordonnée, ralentit considérablement la cristallisation. Résultat : ces matériaux autrefois récalcitrants deviennent parfaitement dépolymérisables par des enzymes.
Ainsi, un mélange de chutes textiles contenant du PET et du PBT, autrefois recyclé à seulement 1 %, atteint désormais un taux impressionnant de 90 % de dépolymérisation enzymatique.
En ajoutant une petite quantité d’un agent liant spécifique les chercheurs vont encore plus loin. Ce composant crée des ponts dynamiques entre les chaînes de plastique et forme un vitrimère, ce qui freine encore la cristallisation. Le matériau reste partiellement réticulé, mais reste attaquable par les enzymes. Ce « double traitement », mélange réactif et vitrimerisation, ouvre la voie au recyclage de plastiques parmi les plus résistants, comme certains non-tissés techniques utilisés dans l’automobile.
À terme, cette méthode pourrait transformer la manière dont nous pensons le recyclage : ne plus trier laborieusement des déchets hétérogènes, mais les mélanger intelligemment pour les rendre solubles dans le cycle de vie. Une avancée technique qui pourrait rendre enfin possible le recyclage enzymatique à grande échelle des déchets textiles et plastiques les plus complexes.
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Références :
H. Garate,C. Freymond,L. Breloy,M. Schindler,J. Pallis,B. Gibbs,B. Mansaku,Y. Rondelez,C. Creton,A.D. Griffiths, & L. Leibler, Reactive mixing enables enzymatic depolymerization of recalcitrant or unsortable polyester wastes, Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 122 (29) e2505611122, https://doi.org/10.1073/pnas.2505611122 (2025).