La Recherche est un véritable pilier de l’ESPCI, depuis sa création. Omniprésente dans la formation des élèves, implantée dans les laboratoires au coeur de l’école, la Recherche à l’ESPCI a ses propres caractéristiques. Rencontre avec Rémi Carminati, Directeur de la Recherche qui nous explique ses rouages et ses orientations.
L’ESPCI Paris a une forte tradition de recherche, comme en témoignent les grands noms qui en sont issus
Oui, mais pas seulement. L’école a une tradition d’excellence dans la recherche fondamentale, avec notamment six Prix Nobel, mais elle est également très attachée aux concepts d’innovation technologique et d’impact sociétal de la recherche. Nos grands noms étaient plus que des penseurs : Marie Curie, après avoir découvert la radioactivité, est partie sur le front avec une ambulance pour uti- liser les rayons X afin de soigner des blessés de la Première Guerre mondiale. Paul Langevin, auteur de nombreuses découvertes fondamentales dans le domaine du magnétisme, du mouvement brownien, etc. a également mis au point le sonar. On peut le voir sur des photos, testant son système avec des ingénieurs dans la rade de Toulon, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. À l’école, nous employons finalement très peu les termes “recherche fondamentale” et “recherche appliquée”, les deux se mélangent en permanence.
Quelle est la stratégie de l’école en matière de recherche ?
L’ESPCI est une structure assez petite : les chercheurs (permanents, doctorants et post-doctorants), représentent 522 personnes. Notre politique est simple : nous recrutons au meilleur niveau, et nous accordons à nos chercheurs le plus de liberté possible. Nous essayons au quotidien de détecter le potentiel scientifique, souvent aux interfaces des disciplines. Dès qu’un projet présente un fort potentiel de rupture, qu’il soit très appliqué ou très fondamental, on aide, on stimule. La petite taille de la structure nous permet d’être assez flexibles et réactifs, et ainsi de prendre des décisions précises. Nous ne donnons pas de directions à nos chercheurs. Nos UMR sont sous la double tutelle du CNRS et de l’ESPCI, certaines ayant d’autres tutelles : Inserm, UPMC, Paris Diderot, etc. Les direc- teurs des unités rencontrent régulièrement la direction de la recherche lors du Conseil Scientifique Interne, et il n’y a pas de structure intermédiaire. Les directeurs d’unités sont libres d’organiser leur laboratoire comme ils le souhaitent, d’où des struc- tures internes très différentes. Si Gulliver compte, par exemple, quatre équipes distinctes, l’Institut Langevin est structuré en quatre thèmes scientifiques très décloisonnés, la plupart des chercheurs étant à cheval entre plusieurs thèmes. Du moment que cela fonctionne, nous n’imposons pas un schéma.
L’ESPCI est réputée travailler aux interfaces des disciplines
C’est un fait, nous ne faisons pas de distinction nette entre physique, chimie et biologie : toutes les disciplines peuvent travailler ensemble. Il n’y a d’ailleurs pas de départements à l’ESPCI. Le laboratoire Matière Molle et Chimie met au point des colles pour suturer les tissus biologiques, l’équipe de génétique de l’évolution utilise les découvertes des laboratoires de microfluidique. Cette interdisciplinarité est riche et source de nombreuses innovations, nous la revendiquons totalement.
Pouvez-vous donner un panorama des sujets d’études de l’école ?
Les différents laboratoires couvrent un spectre quasi continu que l’on pourrait représenter sur un axe partant de la physique (le LPEM avec la physique des matériaux ; l’Institut Langevin avec la physique des ondes ; le PMMH et le laboratoire Gulliver), puis se rapprochent de la chimie (SIMM et MMC) et peu à peu s’approchent de la biologie (CBI), pour finir sur des disciplines beaucoup plus axées “sciences de la vie” (le laboratoire plasticité du cerveau et l’USR biologie et protéomique). À l’arrivée, nous publions plus de 500 articles par an, environ 3,5 par chercheur.
Tout le nécessaire pour passer de la théorie à la pratique...
Oui effectivement, mais nous croyons également beaucoup au “sens inverse”, aux applications de l’industrie qui stimulent la recherche fondamentale. Un très bon exemple historique est l’ouvrage de Sadi Carnot (qui ne vient pas de l’ESPCI !) dans lequel il démontre le second principe de la thermodynamique. Il part d’un problème d’ingénierie pure, l’optimisation des machines à vapeur et, en cherchant comment en maximiser le rendement, il aboutit au second principe, une notion très fondamentale. Cela démontre que la chaine vertueuse marche dans les deux sens. Et cette idée est mise en pratique ici : les gens se croisent au quotidien, décomplexés, libérés de toute idée hiérarchique entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée, et gardent donc un esprit disponible pour repérer les potentiels développements.
Quels sont les futurs axes de recherche à développer à l’école ?
Nous comptons continuer à pousser les thématiques aux interfaces physique/chimie/biologie, notamment pour les applications à la santé et la médecine. Nous avons obtenu de bons résultats dans ce domaine, mais nous pouvons aller plus loin. Une nouvelle entité vient également de voir le jour autour des matériaux poreux (l’Institut des Matériaux Poreux), aux applications multiples pour la santé, l’énergie ou l’environnement. Nous pourrions aussi nous positionner davantage sur l’énergie : le laboratoire SIMM travaille sur de nouvelles approches pour les piles à combustible sans membrane. Au LPEM, les boîtes quantiques pourraient améliorer les cellules photovoltaïques.
Et en termes d’organisation ?
Nous faisons désormais partie de Paris Sciences et Lettres, qui promet un grand potentiel de développement de la recherche à Paris, et qui est virtuellement première université française au classement de Shanghai. Nous avons accueilli une nouvelle équipe qui travaille sur la chimie des matériaux poreux. Nous montons pour l’occasion un laboratoire commun avec l’École Normale Supérieure, avec le soutien de PSL. Cet Institut des Matériaux Poreux a été créé au 1er septembre et prend peu à peu ses marques. Un autre défi est de faire en sorte que la phase de travaux prévus à l’horizon 2018 n’impacte pas la dynamique de recherche. Ces travaux vont surtout nous permettre d’adapter les locaux aux besoins futurs de la recherche.