Programmer des molécules pour détecter des biomarqueurs du cancer

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12/02/2020

Diagnostiquer les maladies aux stades les plus précoces de leur développement, c’est l’un des objectifs des chercheurs et des médecins, qui se concentrent de plus en plus sur de nouveaux biomarqueurs, comme les microARNs. En effet, de plus en plus de publications lient les taux de microARNs dans les fluides corporels à des maladies diverses, y compris certains cancers. Problème, ces molécules d’ARN sont très courtes, et très diluées. Il faut alors des techniques extrêmement sensibles pour les détecter et les quantifier.
L’équipe du laboratoire Gulliver à l’ESPCI Paris en lien avec une équipe clinique en cancérologie de l’Université de Paris pense avoir trouvé la solution : un circuit moléculaire qui permet de quantifier spécifiquement les microARNs, en plus d’être reprogrammable. Cette découverte vient d’être publiée dans la revue Science Advances.

Spécialiste des circuits moléculaires, Yannick Rondelez explore depuis plusieurs années la réalisation de réseaux de réaction biochimiques pour effectuer des tâches complexes. D’un concept fondamental, lui et son équipe du laboratoire Gulliver à l’ESPCI Paris sont parvenus à mettre au point un circuit moléculaire capable de détecter, d’amplifier, et de signaler par fluorescence la présence de microARNs. Ce test, applicable aux biopsies liquides, est basé sur un effet de seuil dynamique, qui permet de s’affranchir des faux positifs.

On peut par exemple faire une analogie avec un circuit électronique : un premier module permet de détecter la présence du microARN pour lequel le système a été conçu. La présence de cette cible est alors convertie en molécule signal, ici un brin d’ADN. Un second module permet d’amplifier la molécule signal, de manière exponentielle. Le troisième module a pour rôle d’absorber le bruit moléculaire, limitant les effets de fuite à l’origine des faux positifs. Enfin un dernier module génère un signal lumineux après un temps qui dépend de la quantité de molécules signal produite. Le suivi de la fluorescence détectée permet alors de remonter à la concentration initiale du microARN dans l’échantillon.

L’équipe a également développé une seconde approche, digitale cette fois ci. Elle consiste à partitionner le mélange échantillon/programme moléculaire dans des gouttes minuscules, de telle sorte que chacune d’entre elle ne pourra statistiquement contenir que 0 ou 1 molécule de microARN. La réaction dans chaque goutte va alors « allumer » celles qui contiennent la molécule d’intérêt, et le comptage des gouttes fluorescentes permet de quantifier de manière absolue la concentration en microARN.

Ces tests ont été réalisés à partir d’échantillons de microARNs issus de colons humains, donc en condition proche du réel. Dans ces cas les concentrations en microARN sont infimes, entre 10-12 (picomolaire) et 10-15 (femtomolaire) mol/L. « Cette preuve de concept technique est très prometteuse et la prochaine étape consiste à valider notre méthode dans un cadre clinique avec des biopsies liquides de patients », précise Guillaume Gines, postdoctorant à l’ESPCI Paris et co-auteur de l’étude.

Plusieurs brevets ont été déposés autour de ces techniques, qui ont plus l’avantage d’être facilement re-programmables pour s’adapter à la détection de tout microARN d’intérêt.
Pour Yannick Rondelez « la porte est ouverte pour se lancer dans des analyses permettant de mesurer la quantité de différents ARNs simultanément, donnant accès a des diagnostiques plus fins et robustes. Nous envisageons également d’utiliser cette technique pour détecter d’autres marqueurs biologiques, comme des enzymes ou des protéines, qui ont aussi un intérêt thérapeutique. »

Des applications concrètes donc, qui viennent concrétiser des années de recherche fondamentales.

Reference :
Gines, Menezes et al.,
Isothermal digital detection of microRNAs using background-free molecular circuit, Science Advances, 2020 (DOI : 10.1126/sciadv.aay5952)

Voir aussi :
Menezes et al. Streamlined digital bioassays with a 3D printed sample changer, Analyst, 2020 (https://doi.org/10.1039/C9AN01744E

Contact : yannick.rondelez@espci.fr, guillaume.gines@espci.fr





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