L’héritage de Pierre-Gilles de Gennes

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11/10/2021

Les 23 et 24 novembre prochains se déroulera à Paris un colloque scientifique sur l’héritage de Pierre-Gilles de Gennes. Prix Nobel de Physique en 1991, directeur de l’ESPCI Paris – PSL pendant presque 25 ans, il était un scientifique polyvalent, passionné et aussi très impliqué dans l’éducation des sciences, en particulier envers les lycéens. Pour l’occasion, Claire Wyart, sa fille et chercheuse Inserm à l’Institut du Cerveau (ICM), ainsi que Jean-François Joanny, qui fût son étudiant en thèse et plus tard directeur de l’école, reviennent sur ce personnage unique.

Quelle était l’approche et la vision des sciences de Pierre-Gilles de Gennes ?


Claire Wyart
CW : Il était avant tout très curieux, et avait une capacité à ingurgiter des connaissances complexes qui ressembleraient à une jungle pour n’importe qui. De là, il arrivait à établir des lois d’échelle, comme pour ses travaux sur les polymères et la réticulation. C’était un aspect essentiel pour lui : se concentrer sur la cause essentielle qui gouverne un phénomène.

JFJ : Sa vision très vaste des problèmes qui relèvent de plusieurs disciplines était en effet exceptionnelle. L’interdisciplinarité était un facteur clé : aborder un problème comme celui des polymères avec les armes de la physique et de la chimie a permis de créer un champ d’étude nouveau à l’époque, qu’on appelle « la matière molle. »

Un colloque sur son héritage, qu’est-ce que cela vous inspire ?

CW : Cela fait 30 ans qu’il a eu son prix Nobel, et bientôt 15 qu’il nous a quittés. De nombreuses questions qui traversent la société aujourd’hui lui tenaient à cœur, qu’il s’agisse de crise sociale ou d’éducation à la science du grand public, une question clé aujourd’hui comme l’illustre la pandémie. Sa voix primant le discernement et le bon sens grâce aux lois d’échelle manque dans les débats actuels.

JFJ : Sans forcément le savoir, de jeunes scientifiques travaillent sur des thématiques qui ont été mises en avant par PGG. Pouvoir discuter de toutes ces recherches, en physique, en chimie ou en biologie, est une manière de mettre en avant sa vision des sciences. C’est aussi l’occasion de rappeler un principe important : on peut expliquer simplement des choses compliquées, sans faire de raccourci trompeur.

Quel était son lien à l’enseignement ?

CW : Il avait une immense envie de transmettre, en particulier aux jeunes. Il mettait d’ailleurs tout le monde sur un pied d’égalité quand il discutait. Il a passé beaucoup de temps à donner des conférences dans des lycées, et j’ai été surprise de rencontrer plus tard tout au long de ma vie des gens qui m’ont confiée avoir choisi la physique suite à un de ses passages, alors que rien ne les destinait à priori à faire des sciences.


Jean-François Joanny
JFJ : Il a par exemple fait des changements importants à l’ESPCI qui ont été très durables. L’école a été modernisée, dans son enseignement et lui doit beaucoup aujourd’hui. Je pense en particulier à la mise en place des tutorats, au renforcement des liens entre recherche et formation, à l’introduction de la biologie, aux cours dispensés par des intervenants extérieurs…

CW : Cette notion d’ouverture est cruciale : ouverture d’esprit, ouverture sociale, ouverture sur le monde. L’ESPCI lui tenait à cœur, il a mis beaucoup d’intention et de volonté pour y changer les choses.

Quelle image gardez-vous du scientifique, mais aussi de l’homme ?

JFJ : C’était un homme brillant et très cultivé. Je garde de merveilleux souvenirs des discussions que nous avons eues ensemble, sur des sujets scientifiques ou autres. Je me souviens par exemple qu’il est la première personne à m’avoir parlé des romans Harry Potter qu’il trouvait formidables à l’époque !

CW : Il adorait pratiquer le « ping-pong des idées », aiguiser son esprit pour se poser les bonnes questions. En grandissant, j’ai compris que j’avais reçu un cadeau précieux de mes parents via cet amour infini d’apprendre et de faire sens du monde qui nous entoure, un peu comme celui qu’un artisan transmet à ses enfants par la passion (NDLA : la mère de Claire Wyart, Françoise Brochard-Wyart est également une physicienne de la matière molle de renom).
Ce que je retiens avant tout, c’est son enthousiasme et son altruisme : la France a construit des édifices intellectuels incroyables dont nous sommes tous les héritiers. Aujourd’hui nous avons une chance inouïe de vivre dans ce pays et de pouvoir partager, échanger et servir l’ensemble de la communauté en tant que chercheurs.

Les 23 et 24 novembre, le colloque "Pierre-Gilles de Gennes’ scientific legacy : une source of inspiration for the future" se déroulera à Paris à la fois en présentiel et accessible à distance. Vous pouvez encore vous inscrire sur le site de l’évènement, et retrouver le programme détaillé : https://degenneslegacy.sciencesconf.org/

Comité scientifique :
E. Charlaix, C. Creton, J.-F. Joanny, E. Raphaël, C. Wyart.

Comité d’organisation :
C. Ramondou, E. Raphaël, F. Sorrentino, C. Wyart.





ÉCOLE SUPÉRIEURE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE INDUSTRIELLES DE LA VILLE DE PARIS
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