Les ultrasons révèlent la vascularisation du cerveau humain jusqu’à l’échelle microscopique

  Version imprimable de cet article RSS
15/03/2021


Couverture du numéro de mars 2021
de Nature Biomedical Engineering
(crédits A . Dizeux)
Cartographier le réseau vasculaire cérébral chez le patient humain, à des échelles jamais atteintes : c’est la prouesse réalisée par le laboratoire Physique pour la Médecine (ESPCI Paris - PSL, Inserm, CNRS). Dans une étude en une du journal Nature Biomedical Engineering, l’équipe détaille sa méthode : la microscopie par localisation ultrasonore, qui allie échographie ultrarapide et agents de contraste. Les chercheurs sont parvenus à résoudre plusieurs défis techniques pour arriver à appliquer la méthode chez l’humain. Les images obtenues sont spectaculaires, et porteuses de quantité d’informations sur les flux sanguins cérébraux mais aussi sur leur dynamique. La microscopie par localisation ultrasonore ouvre de nouveaux horizons pour mieux comprendre et diagnostiquer plus précocement les maladies cérébro-vasculaires comme les AVC ou les anévrismes, et les neuro-dégénérescences comme la maladie d’Alzheimer.

Les vaisseaux sanguins du cerveau forment un réseau extrêmement complexe, dont le rôle est d’assurer l’alimentation des neurones en oxygène et en nutriments. Activité vasculaire et activité neuronale sont ainsi intimement liées, et nombre de maladies neurologiques ont pour cause des dysfonctionnements vasculaires. Une difficulté pour diagnostiquer et soigner efficacement ces maladies est une connaissance partielle du fonctionnement des petits vaisseaux sanguins, due aux limitations des méthodes d’imagerie cérébro-vasculaire existantes. L’angiographie par scanner à rayons X ou par résonance magnétique combinée à l’injection d’agents de contraste (les deux méthodes les plus couramment utilisées à l’hôpital) discernent les artères cérébrales jusqu’à quelques dixièmes de millimètres de diamètre mais ne sont pas capables de détecter individuellement les plus petits capillaires dont le diamètre ne mesure que quelques microns (millièmes de millimètres !). En outre, ces deux angiographies ne donnent pas accès à l’imagerie dynamique des multiples échelles de ce réseau vasculaire. La solution proposée par le laboratoire Physique pour la médecine (ESPCI Paris – PSL/Inserm/CNRS) promet de combler cette lacune en fournissant les composantes cinématiques des flux sanguins à toutes les échelles du réseau vasculaire (des grosses artères aux petits capillaires), au moyen d’une technologie non-invasive, non-ionisante, accessible au chevet du patient et à relativement bas coût.

La micro-angiographie par ultrasons

Depuis quinze ans, l’équipe de Mickaël Tanter développe des techniques d’échographie dite ultrarapide, c’est-à-dire capturant plusieurs milliers d’images échographiques par seconde. En s’inspirant de la microscopie FPALM1 optique dont les inventeurs ont été récompensés par le prix Nobel de chimie en 2014), l’équipe a associé à l’échographie ultrarapide l’utilisation d’agents de contraste : des microbulles contenant un gaz biocompatible qui, injectées par voie intraveineuse, circulent dans l’ensemble du réseau vasculaire cérébral. Ces bulles de gaz microscopiques sont alors imagées au moyen d’une sonde échographique appliquée sur la tempe. En déterminant la position de millions de ces microbulles en quelques secondes, les chercheurs parviennent à reconstituer l’anatomie du réseau vasculaire à l’échelle microscopique, tout en accédant à des informations quantitatives sur les composantes dynamiques locales des flux sanguins. Jusqu’ici, aucune modalité d’imagerie médicale non invasive n’avait permis d’atteindre un tel résultat. Cette nouvelle méthode a été baptisée microscopie par localisation ultrasonore (en anglais, ultrasound localisation microscopy ou ULM).

L’imagerie chez le patient humain : une prouesse technique et des images inédites

Si la technique avait été validée dès 2015 sur le petit animal, le défi était de taille dans le cas d’un patient humain adulte. En premier lieu, le signal ultrasonore est perturbé lors de son passage à travers l’os crânien, ce qui dégrade sévèrement la qualité de l’imagerie. Des méthodes pour mesurer puis corriger ces perturbations ont donc été appliquées lors du traitement des signaux pour restaurer une qualité d’image optimale. D’autre part, il a été nécessaire de développer des algorithmes de correction de mouvement, tout mouvement macroscopique du cerveau annihilant la possibilité de localiser une microbulle avec une précision micrométrique. Charlie Demené, maître de conférences à l’ESPCI Paris-PSL, en détaille les points clés : « Cette première chez l’humain est permise, en quelque sorte, par un alignement de planètes avec la mise au point conjointe de plusieurs techniques. Tout d’abord l’imagerie ultrarapide, qui fournit une énorme quantité de données en un temps très court et permet de séparer la signature acoustique de chaque microbulle individuelle. Ensuite, la localisation ultrasonore qui permet de se libérer des limites de résolution inhérentes à la physique des ondes : lorsqu’on image un objet très petit, on obtient une tache floue plus grosse que l’objet lui-même. C’est ce qu’on appelle la limite de résolution spatiale. Mais si cet objet est isolé dans le champ de vue, on peut raisonnablement supposer que sa position exacte est le centre de la tache. Dans notre cas, ce sont les microbulles circulant dans le sang qui jouent le rôle d’objets isolés, et permettent de remonter à la position exacte de chaque vaisseau sanguin. Enfin, observer l’écho de chaque microbulle permet de connaître précisément l’histoire de l’onde provenant de cet objet microscopique, et en particulier de retracer ce qui s’est passé à la traversée du crâne pour en corriger les perturbations. »

Forts de ces nouveaux développements, les scientifiques ont pu réaliser la microscopie par localisation ultrasonore chez des patients au centre de neurosciences clinique de l’Université de Genève, en collaboration avec le professeur Fabienne Perren. Chez un patient atteint d’un anévrisme, l’équipe a par exemple pu observer jusqu’aux plus infimes détails des flux sanguins dans la zone de l’anévrisme situé au centre du cerveau.

Un outil de choix pour la prise en charge des patients

Ces nouvelles performances d’imagerie vasculaire permettront de mieux comprendre les liens entre vascularisation du cerveau et maladies cérébrales. Visualiser et quantifier des flux sanguins cérébraux, jusqu’ici invisibles directement faute de résolution et de sensibilité suffisantes, pourrait permettre, sur le plan fondamental, d’acquérir de nouvelles connaissances sur les liens entre activité vasculaire et neuronale et, sur le plan médical, d’accélérer la qualité et la précocité du diagnostic des maladies cérébro-vasculaires et de proposer des thérapies plus efficaces.
La microscopie par localisation ultrasonore facilitera l’accès diagnostic pour le patient et la mise en oeuvre de l’examen médical pour le médecin, en comparaison aux techniques d’imagerie utilisées jusqu’ici : la technologie ultrasonore est moins coûteuse qu’une IRM ou un scanner, moins encombrante et utilisable au chevet du patient.

Publication associée : Demené et al., Transcranial ultrafast ultrasound localization microscopy of the adult human brain vasculature, Nature Biomedical Engineering 2021, dx.doi.org/10.1038/s41551-021-00697-x

Contact : charliecharlie.demene@espci.fr, mickael.tanter@espci.fr





ÉCOLE SUPÉRIEURE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE INDUSTRIELLES DE LA VILLE DE PARIS
10 Rue Vauquelin, 75005 Paris