Une nouvelle voie métabolique locale pour alimenter les neurones en période de jeûne

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02/03/2022

Le cerveau a besoin de beaucoup d’énergie pour fonctionner, et la principale source d’énergie est le glucose. En période de jeûne le cerveau s’adapte au manque de glucose pour maintenir son fonctionnement. L’équipe Énergie & Mémoire du laboratoire Plasticité du Cerveau (ESPCI Paris-PSL, CNRS) a décrypté les mécanismes précis de cette adaptation métabolique. On sait depuis les années 60 qu’en période de jeûne le cerveau utilise des corps cétoniques à la place du glucose. Mais on pensait jusqu’à présent que les corps cétoniques utilisés par le cerveau étaient synthétisés par le foie et véhiculés par la circulation. Or au cours de sa thèse, Bryon Silva, co-encadré par Alice Pavlowsky et Thomas Preat, a identifié une source énergétique locale dans le cerveau : les corps cétoniques produits par les cellules gliales à partir leurs propres réserves de lipides, puis délivrés aux neurones. Les chercheurs viennent de publier leurs travaux dans la revue Nature Metabolism.

Il est possible de conditionner la formation de mémoire aversive chez la drosophile, petite mouche modèle pour les chercheurs, en associant une expérience olfactive à un choc électrique. Les chercheurs avaient montré que la formation de la mémoire à long terme, qui se forme après un conditionnement répété, était particulièrement gourmande en énergie. En temps normal, les neurones et leurs cellules gliales associées consomment du glucose, ce qui permet à la mouche d’avoir de la mémoire. Problème : que se passe-t’il lorsque la mouche est en état de jeûne depuis 24 heures et qu’elle n’a pas assez de glucose à disposition ? La création de mémoire à long terme classique est bloquée, ce qui permet à la mouche de mieux supporter la période de jeûne. Mais heureusement pour l’animal à jeun il est possible de créer quand même une mémoire consolidée lors d’un entraînement répété. Cela implique donc l’existence d’une voie métabolique différente pour alimenter en énergie les neurones du centre de la mémoire olfactive.

L’utilisation des corps cétoniques pour permettre la formation de la mémoire chez la drosophile à jeun n’avait pas été pas démontrée, ce qui a été fait dans un premier temps par l’équipe. Puis les scientifiques se sont intéressés à l’origine des corps cétoniques. Chez la drosophile les corps cétoniques circulants sont synthétisés principalement par les corps gras, équivalent du foie. Mais de manière surprenante, l’équipe a montré que les corps cétoniques nécessaires à la formation de mémoire consolidée étaient fournis directement par des cellules gliales du cerveau. Ces cellules gliales utilisent leurs propres réserves d’acides gras pour synthétiser ces corps cétoniques. Enfin, l’équipe a montré que cette production et le transfert aux neurones était régulée par un enzyme spécifique connu pour être sensible à la baisse d’énergie dans toutes les cellules de l’organisme.

Ces travaux de recherche fondamentale devraient permettre de mieux comprendre comment le cerveau est capable de préserver les fonctions cognitives lorsque le métabolisme du glucose est altéré, comme par exemple lors du vieillissement. Ils pourraient avoir des répercutions pour l’étude de la maladie d’Alzheimer.

Référence : Silva, B., Mantha, O.L., Schor, J. et al. Glia fuel neurons with locally synthesized ketone bodies to sustain memory under starvation. Nat Metab 4, 213–224 (2022). https://doi.org/10.1038/s42255-022-00528-6

Contact : alice.pavlowsky@espci.psl.eu , thomas.preat@espci.psl.eu





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