Révéler l’invisible grâce à l’empreinte des ondes

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02/10/2025

Retrouver une aiguille dans une botte de foin ? Un objet dissimulé dans un brouillard épais ? Les techniques d’imagerie classiques, qu’il s’agisse d’échographie, de microscopie ou de radar, se heurtent toutes au même obstacle : la diffusion multiple. Lorsqu’une onde se propage dans un milieu très hétérogène, elle est diffusée à de nombreuses reprises avant de revenir vers le détecteur. L’image obtenue se brouille alors, jusqu’à masquer complètement la cible recherchée.

Pour dépasser cette limite, des chercheurs ont mis au point une approche originale fondée sur un concept simple mais efficace : l’empreinte matricielle. Chaque objet possède une signature unique, une manière bien à lui de diffuser les ondes. Cette signature peut être décrite mathématiquement par une matrice de réflexion, véritable « empreinte digitale » de l’objet. Même enfoui dans un milieu très diffusant, l’objet conserve son empreinte ; elle est seulement noyée dans le bruit diffus ambiant.

L’idée des chercheurs [1] est d’exploiter les corrélations entre la matrice mesurée dans le brouillard et l’empreinte de référence. Ces corrélations permettent d’isoler les contributions spécifiques de la cible et de la faire apparaître, avec une précision meilleure que la longueur d’onde utilisée. Au lieu de corriger les effets du désordre – une tâche pratiquement impossible dans les milieux opaques –, la méthode révèle ce qui, dans le signal, résiste au brouillage. Pour valider ce principe, l’équipe a mené plusieurs expériences en acoustique ultrasonore. Des sphères métalliques enfouies dans une suspension granulaire, totalement invisibles par échographie conventionnelle, ont pu être localisées avec une fiabilité quasi certaine. Dans un second test, la méthode a permis de détecter des marqueurs de lésion utilisés en cancérologie mammaire, souvent difficiles à distinguer dans le bruit des tissus. Enfin, appliquée in vivo sur un mollet humain, elle a révélé l’architecture des fibres musculaires, ouvrant la voie à une imagerie quantitative des tissus, précieuse pour le diagnostic des maladies cardiaques ou neuromusculaires.


Densités de probabilité de présence de deux sphères métalliques enfouies dans une suspension granulaire ultra-diffusante superposées à une image échographique (noir et blanc) totalement brouillée. Chaque couleur correspond à un diamètre de sphère différent: 10 mm (bleu) et 8 mm (vert). Crédit image : Arthur Le Ber


Au-delà de ces preuves de concept, l’empreinte matricielle se distingue par sa souplesse et son universalité. Applicable à tout type d’ondes pourvu que l’on dispose d’un capteur multi-éléments, elle ouvre la voie à des applications variées : suivi d’instruments médicaux en radiologie interventionnelle, contrôle non destructif de matériaux, amélioration des radars et sonars, ou encore mesure locale de paramètres physiques comme la température ou la pression, habituellement inaccessibles à distance.

En révélant ce qui se cache dans le brouillard des ondes, cette approche propose une véritable nouvelle façon de voir l’invisible, avec des perspectives qui dépassent largement le champ de la physique fondamentale.

Ces travaux ont bénéficié d’une subvention ERC Consolidator (n° 819261) dans le cadre du programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne. Cette innovation a également fait l’objet d’un brevet déposé par la société SuperSonic Imagine en co-propriété avec le CNRS et l’ESPCI (FR Patent n2314789, 2023).




 
Référence :
Detection and characterization of targets in complex media using fingerprint matrices, A. Le Ber, A. Goïcoechea, L. Rachbauer, W. Lambert, X. Jia, M. Fink, A. Tourin, S. Rotter and A. Aubry.
Nature Physics, le 2 octobre 2025.
https://doi.org/10.1038/s41567-025-03016-2
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Contact :
Alexandre Aubry, Directeur de recherche CNRS à l’Institut Langevin (CNRS/ESPCI Paris – PSL) | +33 1 80 96 30 66 / +33 6 49 52 64 13 | alexandre.aubry@espci.fr
Paul Turpault, communication scientifique de l’ESPCI : paul.turpault@espci.fr




Notes

[1de l’Institut Langevin (ESPCI Paris – PSL, CNRS) et de l’Université Technique de Vienne (TU Wien)





ÉCOLE SUPÉRIEURE DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE INDUSTRIELLES DE LA VILLE DE PARIS
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